SER MADRE

©Estelle Pereira
©Estelle Pereira
ÊTRE MÈRE PENDANT L’EXIL. Au Venezuela, elles avaient tout : une maison, une voiture et même assez d’argent pour partir en vacances. Désormais, « elles ne sont plus personne ». L’enlisement du pays dans une crise économique et politique a poussé ces femmes à fuir, parfois avec leur famille, parfois sans, pour venir accoucher en Colombie. Sans papiers, elles sont devenues des fantômes et leurs enfants des apatrides.

Herminda (à droite) a tenu à accompagner sa fille Maria (à gauche), jusqu’en Colombie pour son accouchement. Herminda est une Colombienne revenue au pays. À 19 ans, elle a fui la guerre et le narcotrafic du département de Santander et s’est réfugiée au Venezuela.

En 2018, à cause des pénuries alimentaires et de l’inflation, elle s’est résignée à tout quitter pour recommencer, une nouvelle fois, à zéro. « On a d’abord vendu notre voiture, puis nos meubles. Les prix ont continué d’augmenter jusqu’au moment où tout est devenu trop cher. Nous avons fini par vendre notre ferme», s’émeut cette mère de famille, dont les enfants et le mari sont vénézuéliens. | À l’hôpital Erasmo Meoz, le 9 avril 2019, Cúcuta, Colombie

Maria, deux jours après son accouchement. Pour le nouveau-né, il lui sera difficile de prétendre à la nationalité colombienne. Pour la maman, ce n’est pas une priorité. “Il choisira sa nationalité quand il sera grand“. Avril 2019, Cúcuta, Colombie

L’hôpital Erasmo Meoz de Cucuta, le plus proche de la frontière, accueille gratuitement en urgence les mères pour leur accouchement. En février 2019, les Vénézuéliennes représentaient 75 % des accouchements dans l’établissement, selon le personnel hospitalier. | Avril 2019, Cúcuta (Colombie)

Marie Cruz (à gauche) et Maria Reyes (à droite) vendent du café dans la rue pour subvenir aux besoins de leur famille. Elles ont respectivement quatre et sept enfants. Ils vivent à douze dans une maison en tôles. | Avril 2019, Cúcuta (Colombie)

Le bidonville, surnommé “el barrio solo”, est situé à la lisière de la ville frontalière de Cúcuta, en Colombie. Les Vénézuéliens ont pris peu à peu la place des Colombiens dans ces installations de fortune. Les propriétaires de ces terrains en friche laissent les réfugié·es s’y installer en échange de quelques pesos.

Jusmeiby Sojo (à gauche), 39 ans, ancienne fonctionnaire vénézuélienne. Elle s’occupe de sa soeur et d’une amie (à droite), toutes les deux enceintes. Elle s’estime chanceuse de partager un 20 mètres carrés avec un couple pour seulement 2.000 pesos par personne et par jour (55 centimes d’euros) | La Parada, Cúcuta, 20 avril 2019.

Weinnyfer (à droite), la soeur de Jusmeiby, est enceinte de plus de huit mois et peut accoucher à tout moment. C’est dans ce petit cours d’eau situé à moins d’un kilomètre de la frontière, qu’elle et ses amies d’infortune font leur toilette. Les hommes sont tous partis “faire du recyclage”, comprendre : récupérer dans les poubelles tout ce qui pourrait être revendu. | La Parada, Cúcuta, 20 avril 2019.

Adriana Yezimos (tee-shirt rouge) paye 2 000 pesos (équivalent à 55 centimes d’euros en 2019) par jour à un Colombien pour cette baraque fabriquée à partir de bouts de bois et de bâches en plastique. La veille, ce sont dix-neuf personnes qu’elle a hébergées gracieusement. Ses trois enfants avec ceux d’un ami dans un lit, elle et son mari dans un autre, « les inconnus et les gens de passage » à même le sol, sur des cartons. « Je ne supporte pas de voir des frères dormir dehors, si l’on ne se préoccupe pas les uns des autres, nous finirons comme des animaux. »

En 2019, 4 millions de Vénézuéliens et Vénézuéliennes ont quitté leur pays, selon le Haut commissariat aux réfugiés. Ces déracinés représentent désormais l’une des plus importantes populations déplacées hors de leur pays au monde. Parmi lesquels 1,3 million vivent en Colombie.

Beaucoup d’enfants vénézuéliens naissent en Colombie à cause du délabrement des hôpitaux vénézuéliens, du manque d’équipement et des coupures d’électricité. À la frontière, l’hôpital public Erasmo Meoz de Cúcuta prend en charge le soin des femmes enceintes gratuitement.

Les râles d’enfants sont légions dans les bidonvilles alentours en raison de la chaleur, du manque de soin et de médicaments. En 2018, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) alertait déjà sur le nombre croissant d’enfants vénézuéliens souffrant de malnutrition. | Estelle Pereira

Magaly Andreina (à gauche) doit travailler suffisamment pour subvenir aux besoins de toute sa famille. Elle m’a confié, en larmes :

Nous demandons à être traités comme des êtres humains. Nous ne sommes pas responsables de ce qu’a fait ce gouvernement. Imaginez comme c’est dur de sortir ses enfants d’une vie où ils avaient tout, où ils pouvaient étudier. Maintenant, ils dorment à même le sol. Magali Andreina, | Cúcuta, 10 avril 2019.

En 2019, le chef de l’Etat vénézuélien, Nicolas Maduro, qualifiait les réfugiés « de bourgeois apatrides ». « Dans le discours officiel, l’étiquette d’apatride est souvent utilisée pour désigner les dissidents. On veut opposer les amis et les ennemis du régime. Il y aurait ceux qui sont pour la patrie et les autres. Le terme d’apatride désigne ceux qui sont dans le deuxième camp », analyse le criminologue Keymer Ávila, enseignant à l’Université de Caracas.

Luditzi Hernandez, 45 ans, était professeure des écoles dans la région de Valencia. Elle s’est sacrifiée pour sa famille en venant seule en Colombie, d’où elle essaie d’envoyer de l’argent à ses enfants et son mari. En chantant dans la rue, les meilleurs jours, elle gagne 15 000 pesos (4,20 euros). Son ami de galère, Tito Bracho, ancien journaliste, résume : « On nous parle de crise économique, mais avec les richesses que nous avons dans le sol, nous pouvons redevenir un pays riche très rapidement. Le drame, c’est toutes ces familles déchirées, ces enfants abandonnés. Le Venezuela se remettra rapidement de cette crise économique. Je doute qu’il en soit de même pour la crise sociale. »