[Corse-Matin] En Corse, la fabrication artisanale de la charcuterie

La charcuterie, c’est une histoire de famille

En Corse, certains éleveurs porcins préservent une méthode de production artisanale. À Grosseto-Pugna (Corse-du-Sud), Michel Osso travaille comme ses grands-parents avant lui en abattant ses bêtes lui-même, même si la législation l’interdit. L’occasion de découvrir comment sont produits in casa saucissons, pâtés en croute et autres tranches de lard. 

Samedi, c’est le jour où l’on tue le cochon chez les Osso. Blouse blanche et casquette, regard sérieux, le patriarche Michel annonce qu’il va commencer l’abattage. “Je suis allé chercher les cochons hier soir pour éviter qu’ils stressent”, annonce-t-il en montrant du doigt sa camionnette. Malgré la législation, qui veut qu’au-delà de deux animaux l’éleveur soit obligé de passer par un abattoir, Michel Osso préfère tuer ses bêtes lui-même.

L’illégalité de leur méthode n’empêche pas la famille Osso d’afficher fièrement son mode de production. “Avec nous, c’est fait proprement et avec respect“, lâche Michel. Son pistolet à la main, il monte à l’arrière du camion. Un bruit sourd. Une masse tombe au sol. C’est terminé. Le premier cochon a été abattu. Par pour la bête, le chef de la famille Osso se cache toujours pour pratiquer la mise à mort. Après quoi, le cochon sera vidé de son sang, récupéré pour la recette du boudin.

Avec nous, c’est fait proprement et avec respect…

Michelle Osso, lors de l’abattage du cochon

Débute alors une des étapes des plus physiques. Une fois la trachée sectionnée pour laisser couler le sang, le cadavre se met à bouger. “Ce sont les nerfs”, rassure Doumé, un ami de la famille venu prêter main forte. L’animal de cent-trente kilos semble s’être réveillé. Michel s’assoit à califourchon sur lui pour le maintenir avec poigne.

Le samedi, les amis de Michel Osso ont pour habitude de venir l’aider à l’abattage et à la brûlure des soies des cochons, février 2018, Corse-du-Sud ©Estelle Pereira

Pour être berger, il faut être passionné, sinon tu ne fais pas ce métier”, commente Claire, sa fille aînée. Elle et ses deux soeurs comptent reprendre l’élevage. Elles sont venues aider avec quatre amis retraités. Tous les gestes vont devoir être répétés pour les cinq cochons du jour.

Le rituel continue. La peau de l’animal est brûlée à l’aide d’un chalumeau et d’une bonbonne de gaz. Ils vont ensuite la gratter à l’aide d’une pelle jusqu’à ce qu’elle devienne blanche. Les hommes, dégoulinant de sueur en plein mois de février, s’attellent à la tâche. Les filles rincent le cochon au Karcher pour enlever les derniers résidus.

Michel Osso pose devant ses jambons (issus de la cuisse du cochon). Il faut les laisser sécher plusieurs mois pour que le sang s’évapore. ©Estelle Pereira

Tout se mange dans le cochon, sauf les poumons”, précise l’éleveur au moment du dépeçage. Il prend soin de vérifier le foie. “Regardez comme il est lisse“, signale-t-il, l’air fier. “C’est un indicateur de qualité”.

Ses cochons ont vécu en semi-liberté pendant un an et demi. “C’est la bonne taille. Après, ils sont trop gros mais surtout trop lourds pour la découpe”. Ils ont pu se nourrir de ce qu’ils trouvaient dans la nature “ce qui assure le bon goût de la charcuterie”, selon le charcutier. Les organes vitaux de l’animal sont détachés et suspendus un à un. Boyaux, intestins et morceaux de gras serviront pour faire les saucisses, une fois à la viande broyée.

Marie-Michelle, 21 ans, aide régulièrement son père pour la découpe du cochon. ©Estelle Pereira

Une fois la bête abattue, on laisse la carcasse dans une chambre froide pendant trois jours. Ensuite, on continue la découpe et on charcute”, détaille Claire. Par charcuter, comprenez broyer, hacher, et assaisonner la chair de l’animal pour cuisiner les saucissons. 

Commence ensuite l’étape la plus longue – mais la plus importante – le séchage. En février, la famille commence à manger le saucisson fabriqué en novembre dernier et encore “il n’est pas assez sec”, selon eux.

Une production écoulée à domicile

Toute la matinée, clients et amis défilent récupérer des boyaux et autres parties porcines fraîchement découpées pour leur propre fabrication ou simplement acheter les produits finis. Le berger n’a pas besoin de se déplacer, il écoule sa production depuis chez lui.  “Certaines figatelli (saucisses corses) sont déjà vendues avant que je ne les fabrique”, s’amuse le charcutier. Son exploitation, composée d’une cinquantaine de cochons, lui assure un revenu “confortable”.

Dans son atelier, les jambons (la cuisse du porc) sont plongés dans des bacs de gros sel pendant plusieurs semaines. Ils sont ensuite exposés à l’air libre, près d’une cheminée, pour laisser s’évaporer le sang. Il brûle du chêne dans la même pièce que les saucissons et jambons pour qu’ils s’imprègnent du fameux goût « fumé ».

Après l’effort, le réconfort. Des travers de porcs, des filets-mignons et du lard sont partagés avec les amis venus aider. Un fromage, composé d’asticots vivants est exposé avec fierté. Cette recette corse a été interdite par l’Union européenne. Il en faudra plus à la famille Osso pour qu’elle laisse tomber ses recettes traditionnelles.